Terrorisme, lois scélérates, affaire Dreyfus... et Jaurès !

Publié le par Parti de Gauche Cantal

Chacun peut, aujourd'hui, s'éclairer de l'histoire pour mieux comprendre le projet de société liberticide qui se cache derrière la lutte contre le terrorisme... et y voir une mise en garde.

 

Dans les années 1880 – 1890, la IIIème République s'embourbe dans les travers d'une société bourgeoise et capitaliste... bref, la démocratie est en dérive et la République est menacée par la gouvernance des élites complices de la mise à l'écart du peuple.

 

Dans ce contexte, des individus et des groupes se revendiquant de l'anarchie se radicalisent et passent à la « propagande par le fait », à savoir l'action directe par la multiplication des attentats violents et meurtriers qui vont plonger le pays dans une ambiance de psychose. Sadi Carnot lui-même, Président de la République, en fera les frais et sera assassiné par un terroriste anarchiste italien.

 

C'est dans cette ambiance de peur généralisée que les pouvoirs publics vont adopter une série de mesures d'exception restreignant les libertés individuelles au nom de la sécurité publique en 1893 et 1894.

 

Que permettent ces « lois scélérates » ?

 

- l'arrestation préventive de tout auteur d'une supposée provocation indirecte

- l'arrestation de tout membre ou sympathisant supposé d'un groupe considéré comme anarchiste ou anarchisant

- l'encouragement à la délation

- l'interdiction de toute publication considérée comme anarchiste, y compris les journaux d'opinion (le fameux « Père peinard » sera interdit).

 

Terrorisme, lois scélérates, affaire Dreyfus... et Jaurès !

Ces lois vont permettre, et c'est leur raison d'être, toutes sortes de dérives. Les fichages massifs, les arrestations arbitraires, les interdictions de manifestations vont toucher bien au-delà des anarchistes globalement assimilés à des terroristes. Les socialistes, les militants syndicaux ouvriers ou encore les SDF seront attaqués.

 

Jean Jaurès, figure émergente du socialisme républicain, va devenir la figure incontournable de l'opposition aux lois scélérates. Jaurès considère ces lois comme une offensive contre la République, preuve de la corruption des institutions qui utilisent le prétexte de la sécurité publique pour criminaliser l'action syndicale et l'opposition politique.

 

Voici ce qu'il écrit dans La Dépêche du 24 juillet 1894 :

 

« Sous l'Empire, avec des lois comme celles que proposent de prétendus républicains, on déportait et on internait les hommes les plus modérés et les plus honnêtes. »

 

« Quoi ! Parce qu'un assassin a commis un crime, il faut donc suspendre toutes les libertés du pays ? »

 

« Nous nous glorifions de nous opposer autant qu'il est en nous à une loi dangereuse dont on pourra se servir pour inquiéter les plus tranquilles et les plus probes des citoyens. » .

 

Les libertés individuelles et les droits étant plus rapides à perdre qu'à gagner, il faudra 98 ans pour que les lois scélérates soient abrogées en 1992.

 

L'épisode de la répression par les lois scélérates sera un préambule antirépublicain à la violente fracture qui va déchirer la nation française lors de l'affaire Dreyfus où Jaurès fera entendre encore plus fort la voix du socialisme républicain, comme lors de son discours au Sénat du 28 février 1899. Il y dénonce les tentatives de manipulation de la justice orchestrées par le pouvoir politique et militaire afin d'empêcher la vérité d'éclater lors de l'affaire Dreyfus. Jaurès considère, encore une fois, que le pouvoir met en péril la République en confisquant la souveraineté populaire, en affaiblissant les libertés individuelles et en ne reconnaissant pas l'universalité de la justice.

 

« Il y a trop longtemps que ceux qui se refusent à plier devant une coalition, derrière laquelle on trouverait aisément une camarilla (= groupe occulte de conseillers non officiels du pouvoir [ndr]), sont outragés, insultés et abandonnés. Il faut, messieurs, non pas prendre au tragique certains épisodes de notre histoire, mais les prendre au sérieux pour en observer les causes ; il faut se demander si le laisser-aller dans la défense, opposé à la vigueur, l'outrance de l'attaque, va dégénérer en une sorte de résignation de ce pays, où ceux qui veulent rester libres et indépendants semblent n'être plus assez défendus.

Nous avons devant nous les mêmes adversaires que nous y avons trouvés autrefois ; les procédés sont les mêmes, le but est le même ; le moyen, c'est d 'ébranler peu à peu tout ce qui constitue un gouvernement sûr, ordonné et durable ; c'est d'affaiblir, un à un, d'énerver tous les ressorts de l'action gouvernementale ; c'est de mettre aux pièces toutes les catégories sociales ; ce n'est pas seulement de troubler les esprits, ce n'est pas seulement d'agiter la rue, c'est encore inquiéter les intérêts ; c'est, en un mot, de faire de l'anarchie, pour arriver à faire de la réaction.

Eh bien, pour ma part, je me refuse à prendre la moindre responsabilité dans un vote qui ne peut qu'accroître les périls. Est-ce le moment, le croyez-vous messieurs, de toucher à une seule des garanties du droit individuel ? Jamais il n'a été plus menacé. Je voudrais être optimiste ; je ne le peux ; car une chose grandit et grandit sans cesse dans ce pays : c'est le pouvoir de la menace et de la calomnie, une sorte d'inquisition obscure ; elle est partout. Il n'est pas de fonction assez haute, il n'est pas de situation assez humble pour, si on lui résiste, échapper à ses coups. On fouille les généalogies, on viole le secret des familles ; ceux qu'on ne peut briser, on les salit. Est-ce le moment de diminuer l'autorité de la justice ?

Pour moi, messieurs, je m'y refuse. Je m'y refuse parce que je considère qu'on n'y touche pas en vain, qu'accroître en apparence les garanties d'une juridiction en les grossissant, ce n'en est pas moins encourager les d'autres demandes et s'exposer encore à d'autres concessions. Nous en avons fait trop ; nous avons assez reculé, nous avons assez descendu ; remontons ! On faisait hier appel à ce sentiment français qui aime à se rappeler son passé, ce qu'il a été, ses grandeurs ; ce qui me préoccuppe n'est pas de voir que nos institutions sont attaquées. Notre caractère national lui-même se trouve menacé.

Nous avons toujours été un peuple épris d'idéal et de raison. Nous étions avides d'égalité, et de prédications furieuses, exhumant, pour les vanter, des souvenirs qui sont la honte de l'histoire, essayant de précipiter toute une partie d'un peuple contre une autre. Nous étions avides de justice et l'on a pu dire, sans que partout ce peuple frémisse, que contre le droit individuel, il peut y avoir des raisons d'Etat."

 

Pour en savoir plus :

Livre :

Jean Jaurès par Gilles Candar et Vincent Duclert – édition Fayart - 2014

Liens internet :

Les lois scélérates (Wikipédia)

Jaurès contre les lois scélérates (anarchisme et corruption - 1894)

L'engagement dans l'affaire Dreyfus (1898)

Jaurès, les socialistes et l'affaire Dreyfus (1900)

Terrorisme, lois scélérates, affaire Dreyfus... et Jaurès !

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